Plan santé au travail, rapport Lecocq sur la prévention, montée de l’absentéisme au travail, épuisement professionnel… Martine Keryer, secrétaire nationale CFE-CGC en charge de la santé au travail et du handicap, fait le point sur ces dossiers.
A la demande du Premier ministre, Edouard Philippe, la député Charlotte Lecocq (LREM) a récemment remis au gouvernement un rapport sur la santé au travail. Qu’en pensez-vous ?
Cela fait longtemps que la CFE-CGC réclame une gouvernance nationale de la santé au travail et une synergie des principaux acteurs, qui sont les deux points majeurs de la mission Lecocq. Ce rapport propose, en effet, deux choses : la création d’une grande agence nationale, baptisée France Santé au Travail, qui donnerait des directives et des moyens aux régions ; et le regroupement dans chaque région de tous les services de santé au travail – ils sont une quarantaine en Ile-de-France par exemple – et de l’ensemble des « préventeurs ». La CFE-CGC approuve ces projets de réforme.
Qu’est-ce que cette gouvernance nationale changerait ?
Pour comprendre à quel point ce serait une évolution salutaire, il faut revenir un peu en arrière. Les partenaires sociaux, avec la direction générale du travail (DGT), ont établi des préconisations dans le Plan santé numéro 3 (PST 3) qui lui-même succédait aux deux plans précédents. Ces préconisations, logiquement, s’imposent à tous les institutionnels de la prévention. Or, il s’avère que, sur le terrain, à l’exception d’une ou deux régions comme (Auvergne-Rhône-Alpes et Bretagne), le PST 3 n’est pas appliqué.
La prévention des risques psychosociaux, celle de la désinsertion professionnelle, l’amélioration de la qualité de vie au travail (QVT) ne sont pas abordées prioritairement parce que tout le monde travaille de son côté et à sa manière. L’instauration d’un pilotage national de la prévention permettrait que les services de santé au travail reçoivent des directives claires, et que ce qui figure dans le PST descende sur le terrain. En pratique, si la porte d’entrée devient unique, on pourrait par exemple identifier, dans une entreprise, ce qui a généré des risques psychosociaux et ensuite établir un plan de prévention avec le comité social et économique (CSE).
- « Identifier ce qui, dans l’organisation d’une entreprise, entraîne des risques psychosociaux »
Les entreprises privées ne risquent-elles pas de se montrer réticentes ?
C’est tout à fait possible d’identifier ce qui, dans l’organisation d’une entreprise, entraîne des risques psychosociaux ! S’assurer que le salarié ait un travail qui a une utilité et un sens, vérifier quelle est la charge de travail du personnel et des encadrants, éviter que les cadres soient accrochés à leurs terminaux 20 heures sur 24 etc.
En tant que médecin du travail et responsable CFE-CGC, je vois les accidents du travail liés à des causes psychiques. Les cas de burn-out et d’épuisement professionnel augmentent constamment. En premier lieu dans les métiers d’aide : médical, police, pompiers, maisons de retraite et tout ce qui touche à l’humain. Mais aussi chez les cadres de tous niveaux. Et plus vous avez de responsabilités, plus vous avez un travail passionnant, plus vous êtes motivé dans votre boulot, plus vous risquez de dégringoler quand vous recevrez ce qu’on appelle une « charge émotionnelle négative ». On ne compte plus les managers, les directeurs de haut niveau, extrêmement investis, qui, un jour, se prennent une claque. Et dont le corps dit stop, brutalement.
Quelle est la différence entre l’épuisement professionnel et l’accident du travail pour cause psychique ?
L’accident du travail a une cause ponctuelle : je suis dans un bureau, quelqu’un me rabaisse plus bas que terre, je craque, j’ai des palpitations, je suis incapable de continuer à travailler. Tout cela est clairement identifié et pris en compte. L’épuisement professionnel, en revanche, est une notion forcément étirée dans le temps, très compliquée à déclarer comme maladie professionnelle puisque seuls 418 cas ont été reconnus en 2015 et qu’il n’y a pas de tableau de maladie professionnelle. Autrement dit, cela n’apparaît pas dans les statistiques.
- « Un lien direct entre l’épuisement professionnel et la montée de l’absentéisme au travail »
L’épuisement professionnel est-il une forme de stress aggravé ?
Non, c’est autre chose que le stress et les conséquences médicales ne sont pas les mêmes : quelqu’un d’hyper stressé risquera plutôt de faire un accident vasculaire cérébral (AVC) ou un infarctus du myocarde. Il y a épuisement professionnel à partir du moment où l’on ne peut pas respecter ses valeurs, où l’on subit une désillusion. On vous confie un job avec lequel vous n’êtes pas en phase, vous le faites parce que vous êtes obligé, mais consciemment ou inconsciemment vous en souffrez, jusqu’à ce que vous ne puissiez plus continuer. Un matin, votre corps vous fait passer le message qu’il refuse de se lever. Ce n’est pas non plus une dépression. Les médecins du travail font tout à fait la différence entre quelqu’un qui est déprimé parce qu’il a des problèmes familiaux, et quelqu’un qui est épuisé professionnellement parce qu’il a trop de travail et qu’il reçoit trop d’émotions négatives dans son travail.
Faites-vous un lien direct entre l’épuisement professionnel et la montée de l’absentéisme au travail, récemment constatée ?
Bien sûr. Il y a de plus en plus d’absentéisme dans les entreprises et dans la fonction publique parce que le travail est de plus en plus pénible sur le plan psychique. Il y a certainement d’autres causes comme l’allongement de l’âge de départ en retraite ou encore toutes les pathologies liées à l’inhalation de produits chimiques, mais, pour ce qui concerne les métiers de l’encadrement, le lien me paraît absolument évident.
A lire aussi :
– « Agir face au burn-out, un enjeu social et sociétal majeur »
– Le guide CFE-CGC : comment identifier et mieux prévenir le syndrome d’épuisement professionnel ?